Festival Avignon Off 2017 - Chronique "Tout entière Vivian Maier, qui êtes-vous ?" / Cie Préau CDN de Normandie – Vire

Durée : 1min 28sec | Chaîne : 2017 > Chroniques Critiques
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Une femme, anonyme, a vécu dans l’Amérique des Trente Glorieuses, cette Amérique iconique et multicolore qui a déferlé sur le monde entier avec ses images, ses slogans, ses rêves. Un jour, bien plus tard, en 2007, à Chicago, un jeune homme a découvert des caisses remplies de négatifs – plus de 100 000 ; il les a fait développer, et ce qu’il y a vu tient du miracle : les photographies exhumées ne sont pas seulement d’une beauté et d’une puissance rares, elles dessinent aussi en creux le portrait de leur auteure, cette femme étrange dont le nom résonne à lui seul comme une énigme : Vivian Maier. 

Derrière ce nom, il y a autant d’évidences que de mystères, il y a le spectre de Julie Andrews et son indécollable Mary Poppins – Vivian Maier était gouvernante, sillonnant inlassablement son pays pour s’attacher à une nouvelle famille –, et les figures de Sylvia Plath, Diane Arbus ou Janet Frame, ces femmes anglo-saxonnes qui ont vécu le puritanisme et les électrochocs, qui ont écrit leurs souffrances et leurs euphories et vu, sous le vernis clinquant de leur société, les ravages de l’exclusion, de la difformité et de la solitude. Tout ceci, Vivian Maier nous le montre sans complaisance dans ses splendides photographies de rue.

Mais sous les traits de son visage farouche, buté et mélancolique – Vivian Maier a laissé de nombreux autoportraits –, il y a aussi la condition d’une femme nomade, inadaptée au monde, obsessionnelle et trouble. Une femme qui n’a jamais exposé ses photographies, qui ne les a même jamais vues ayant renoncé à les développer, mais qui assemblait scrupuleusement, année après année, pellicule après pellicule, un édifice colossal. Une femme invisible construisant une œuvre fantôme.

On sait très peu de choses sur elle : on ne sait d’elle que ce qu’elle a regardé.

Avec Aurélie Edeline, nous avons partagé une bien légitime fascination pour cette artiste si atypique. Nous avons désiré nous approcher d’elle sans chercher à remplir ses creux, résoudre ses énigmes, ou colorier les blancs de sa vie : ce sont ses replis et ses ombres qui nous hantent et que nous souhaitions donner à voir. Loin de la biographie théâtrale, Tout entière invoque l’adage proustien qui veut que tout être ne cesse résolument d’échapper et de se dérober.

Interprète : Aurélie Edeline